L’acceptabilité d’un emprunt linguistique

L’acceptabilité d’un emprunt linguistique ne s’appuie pas strictement sur sa légitimation linguistique, mais également sur sa légitimation sociale – et là entrent en jeu les questions de normes et d’usages soulevées dans nos précédents billets. Plus précisément, la légitimation sociale concerne l’implantation de l’emprunt dans l’usage et sa conformité aux normes sociolinguistiques tandis que la légitimation linguistique repose sur l’adaptation et la conformité au système linguistique.

Quatre critères d’évaluation sont généralement retenus lorsque vient le temps de juger de l’acceptabilité d’un emprunt. Si l’un de ces critères n’est pas respecté, l’emprunt sera considéré comme inacceptable. Toutefois, avant de juger de l’acceptabilité d’un terme, il faut s’assurer qu’il s’agit bel et bien d’un emprunt, et à ce sujet, nous vous renvoyons au précédent billet : Les différents types d’emprunts linguistiques.

Précisons d’emblée que nous nous intéressons ici à la situation particulière du français au Québec[1] et que ces critères ne seront pas les mêmes dans d’autres communautés francophones, comme la France, la Suisse, la Belgique, etc.

Le besoin de combler une lacune linguistique en français par l’emprunt.

Pour combler une lacune linguistique, un terme doit nommer une réalité qui n’a pas encore de désignation dans la langue emprunteuse. Ainsi, au Québec, l’emprunt week-end est déconseillé parce qu’il entre en concurrence avec fin de semaine[2].

L’absence d’équivalent en français, bien qu’il indique une lacune linguistique, ne fait toutefois pas foi de tout. Les autres critères doivent être pris en compte et on insistera également sur la créativité lexicale, c’est-à-dire sur la possibilité de proposer de nouveaux termes, formés à partir d’éléments français, ou d’assigner de nouvelles significations à des termes existants.

L’implantation de l’emprunt dans l’usage du français.

Pour être considéré comme étant implanté, un emprunt linguistique doit être suffisamment attesté dans des ouvrages de référence courants et spécialisés, et ne pas présenter une trop grande diversité de variantes graphiques, morphologiques, etc. Ainsi, des emprunts rares ou vieillis, donc non généralisés en français, ne répondent pas à ce critère d’acceptabilité.

acceptabilite-emprunt-linguistique-sandwichL’adaptation de l’emprunt aux normes sociolinguistiques québécoises.

Pour répondre à ce critère, un emprunt linguistique doit être accepté par une majorité de locuteurs et être implanté au sein d’une communauté linguistique. Des emprunts comme sandwich, muffin et hockey sont communs aux locuteurs du français en France, au Québec, en Suisse, etc., mais, au Québec, on privilégie traversier plutôt que ferry et magasinage plutôt que shopping.

Le fait qu’un emprunt soit en usage au Québec ne suffit pas pour qu’il soit considéré comme « accepté »; cet emprunt devra, en outre, être conforme et adapté au système du français.

acceptabilite-emprunt-linguistique-muffinsLa conformité ou l’adaptation de l’emprunt au système du français.

Ce critère permet d’évaluer la capacité d’un emprunt linguistique à s’intégrer au système de la langue emprunteuse sur les plans sémantique, phonétique, orthographique et grammatical (possibilité d’accentuation, d’accord en genre et en nombre, de dérivation, etc.). Toutefois, cette question est si vaste que nous réservons ces considérations pour notre prochain billet.

En somme, l’emprunt linguistique permet à une langue d’enrichir et de renouveler son lexique et loin de nous l’idée de présenter l’emprunt comme étant quelque chose de négatif. Il n’en demeure pas moins que dans une perspective de préservation et de promotion de la langue, l’emprunt ne devrait pas être fait au détriment de termes déjà disponibles dans la langue emprunteuse et qu’il ne devrait pas empêcher la créativité lexicale dans cette même langue.

[1] Le lecteur qui souhaiterait en apprendre davantage à ce sujet peut consulter notre billet intitulé Variation géographique et traduction.

[2] Voyons plus précisément ce qu’en dit l’Office québécois de la langue française : « Au Québec, dès les années 1920, c’est le terme français fin de semaine qui s’est imposé dans l’usage pour remplacer l’emprunt week-end. Aujourd’hui, on remarque que week-end est d’un usage fréquent et que les deux emplois sont concurrents dans certains domaines ou certaines aires géographiques ou sociales. Dans ces conditions de concurrence, une acceptation officielle de l’emprunt ne pourrait qu’encourager la généralisation du terme anglais et même, éventuellement, le remplacement du terme français fin de semaine, pourtant bien implanté dans l’usage depuis plusieurs années. C’est pour cette raison que l’emprunt week-end n’a pas été retenu comme synonyme en français du Québec. » Référence : http://www.granddictionnaire.com/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8361442

Posted on mars 23, 2015 in Domaine de la traduction

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