Les éditeurs de langue anglaise, une tour de Babel

Éditeurs de langue anglaise : une vraie « Tour de Babel »

Adam Freudenheim, éditeur chez Pushkin Press, convient qu’il existe des raisons valables au fait que les éditeurs de langue anglaise publient moins de traductions que leurs collègues d’outre-mer, mais insiste sur le fait que l’équilibre est en constant décalage. Aux éditions Pushkin Press, dont il a pris le contrôle depuis 2012, il a tenté de changer les choses. Alors que d’autres éditeurs n’envoient traduire des livres qu’à l’occasion, dans l’espoir d’un succès comparable à celui de la trilogie de Stieg Larsson ou celui de Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson, 90 % des titres chez Pushkin Press ont été rédigés à l’origine dans les langues allant de l’arabe et l’islandais à l’hébreu et le grec.

Leur bureau de Londres constitue une véritable mini-Tour de Babel où l’allemand, le français, l’italien et le russe sont parlés couramment. Cela signifie que non seulement le personnel de Freudenheim adopte des livres de lecture provenant de ces langues, ils lisent également des ouvrages traduits en français de romans japonais, par exemple, ou des romans hongrois traduits en allemand. C’est une bénédiction pour leurs activités de repérage et la plupart des éditeurs, reconnaît-il, ne possèdent pas cette expertise dans laquelle puiser.

Tout aussi impressionnante est la gamme de titres que publie Pushkin, en passant par des livres pour les jeunes lecteurs âgés de huit à douze ans, et des classiques, jusqu’à de la fiction contemporaine. Parmi les directeurs littéraires et même les éditeurs, Freudenheim soutient que la littérature issue d’une traduction est de plus en plus associée avec des livres assez sérieux. Il est facile de voir pourquoi – il suffit de penser au roman autobiographique Mon combat, en six tomes de Karl Ove Knausgaard, ou d’autres récents lauréats du prix Nobel. Lorsque l’auteur est étranger, il peut être tentant de croire que son ouvrage est soit littéraire avec un L majuscule ou bien qu’il s’agit plutôt d’une histoire de meurtre dans les fjords.

Seuls quelques éditeurs de langue anglaise courageux portent un regard neuf sur la littérature en langue étrangère. Amazon, si décriée dans les milieux littéraires ces derniers temps, s’est lancée dans une traduction dynamique de son propre cru en octobre 2010. Depuis, AmazonCrossing a publié 129 titres de longs métrages, traduits en anglais à partir de 14 langues, dont le portugais, le brésilien et le chinois. Plus tôt cet été, Gabi Kreslehner, l’auteure autrichienne du thriller Rain Girl, se retrouvait même au sommet de la liste des best-sellers de Kindle.

Selon Freudenheim, les lecteurs ne voient pas les livres traduits comme étant différents des titres de langue anglaise. Sarah Jane Gunter, éditrice chez AmazonCrossing, le confirme : « Les clients aiment les bonnes histoires ».

Des esprits indépendants

Au Royaume-Uni, l’Independent Foreign Fiction Prize (par divulgation complète : j’y ai participé à titre de juge il y a quelques années) a encouragé la traduction des livres depuis plus de 20 ans. À la moindre objection, notons que  des superproductions telles que Millénium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes (The Girl with the Dragon Tattoo) ainsi que des séries télé comme The Killing ont certainement contribué à l’écarter. Le professeur Edwin Gentzler, directeur du Centre de traduction à l’Université du Massachusetts, Amherst, voit de bonnes raisons d’être optimiste en ce qui concerne la santé de la traduction dans les pays anglo-saxons, en dépit de ces statistiques accablantes.

Les éditeurs de langue anglaise publient tant de livres à eux seuls que le trois pour cent semble exagéré, pire encore que les 70 % de la Slovénie, soutient-il. En outre, les statistiques ne tiennent pas compte des petites maisons d’édition indépendantes telles que Dalkey Archive et Open Letter, ainsi que des maisons spécialisées comme Mage, une société américaine qui publie des ouvrages traduits exclusivement du persan. Puis, il y a les nombreuses petites revues littéraires, les journaux clandestins et les journaux régionaux qui publient des traductions de poèmes, de nouvelles et d’extraits divers. La simple mention de publications telles que Chutzpah, Banipal, Absinthe peut sembler un tantinet exaltant. D’autres raisons d’être optimiste, prétend Gentzler, provient de l’édition de presse sur la scène universitaire (jusqu’à 30 % de la revue Massachusetts Review, par exemple, est traduite) et d’Internet. À titre d’exemple, Words Without Borders a fait traduire plus de 1 000 pièces en anglais à partir de plus de 80 langues.

Entre temps, certains auteurs de langue étrangère ont déjà commencé à écrire en anglais. Le Chinois Ha Jin en est un bon exemple, et son prochain roman, A Map of Betrayal (Une carte de la trahison), figure en réalité parmi les meilleurs succès des mois à venir du Huffington Post. Un autre auteur, cette fois rédigeant en turc, qui se serait fort certainement illustré de la sorte –  eût-il été prêt à sortir un nouveau roman, –  est Orhan Pamuk, mais on l’a accusé d’écrire à des fins de traduisibilité. Murakami, pour sa part, écrit en japonais, mais sa passion pour les auteurs typiquement américains est telle qu’il a lui-même traduit des ouvrages de Raymond Carver en japonais.

Dans un contexte de mondialisation croissante, cette pollinisation croisée dans le domaine culturel est non seulement inévitable, elle peut être passionnante aussi. Mais nous devons aussi veiller à préserver la variété et l’authenticité intrigante qui est au cœur de la fiction locale. Après tout, à défaut d’une traduction des œuvres littéraires, les lecteurs de langue anglaise que nous sommes ne saurions pas ce que c’est de converser avec Le Petit Prince, de se métamorphoser à la manière de Gregor Samsa, ou de nous plonger dans le réalisme magique de Cent ans de solitude. Même la Bible, faut-il le rappeler, est un livre issu de la traduction.

 

Article source | bbc.com/culture

Crédit photo | The Leaning Tower, Pisa by Tra Dinh on Flickr

Posted on octobre 28, 2014 in Domaine de la traduction

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